Histoire des femmes publiques, contée aux enfants
Résumé de l'ouvrage de Françoise et Claude Lelièvre, par Brigitte Manoukian et le groupe « La Durance », Professeure au Lycée Vauvenargues AIX-EN-PROVENCE. Le 1er décembre 2000
Ces femmes publiques ne sont pas celles des trottoirs mais bien celles qui ont approché ou sont entrées dans la sphère du politique réservée aux hommes. Quelles femmes et comment ces femmes sont présentées et représentées dans les livres d’histoire de l’école élémentaire ? : tel est le sujet de cet ouvrage qui repose sur le décorticage de 30 manuels publiés entre 1913 et 1990 (d’éditeurs variés) et qui aboutit au constat : “Nous avons sous-estimé leur dimension foncièrement sexiste”.
La réflexion, l’idée défendue dans cette présentation porte sur les liens entre la réalité et la manière dont sont présentées les femmes dans les manuels d’histoire : les manuels doublent une réalité mais contribuent aussi à la renforcer.
Ainsi, le premier chapitre ouvre sur ce suffrage universel (1948) qui dans aucun des manuels (jusqu’à la fin des années 90) n’est présenté comme un suffrage seulement masculin. Plus étonnant, aucun manuel jusqu’en 1985 ne signale l’obtention du droit de vote des femmes en 1944 ! Si l'événement semble de taille aujourd’hui, il fut, il est vrai, un “non-événement” dans la presse ou les discours : “Il y a, de fait, une quasi conspiration du silence au moment même où s’exerce pour la 1ère fois le suffrage vraiment universel masculin ou féminin. Cette révolution est - doit être - silencieuse. Et les manuels d’histoire de l’école communale entretiennent et redoublent ce silence “.
A partir de 1985, les manuels consentent à jouer “leur rôle d’éveilleur” mais la mise en image du vote des femmes “insiste plutôt sur son caractère individuel privé, intime, voire intimiste” (pour illustrations : des photos de bas d’isoloir d’ où sortent une paire de jambes et des souliers féminins !).
Peu de femmes souveraines dans les manuels : “Elles n’étaient manifestement pas à leur place comme le “montreraient” leurs caractères, leurs humeurs, leurs attitudes mais aussi les résultats de leurs politiques“. Les femmes présentes sont de “mauvaises reines” ( les cruelles et monstrueuses Brunehaut et Frédégonde, la méchante Isabeau de Bavière, la sanguinaire Catherine de Médicis...). Seule Blanche de Castille apparaît comme une bonne reine, c’est à dire une bonne mère, mère du futur Saint Louis à qui elle donne une éducation sévère mais juste et pieuse :” La mère d’un saint roi ne saurait être une mauvaise femme, une femme de pouvoir”.
“Apparaissent” aussi dans les manuels “les jeunes filles héroïnes”, pas dangereuses car non souveraines : “ Courtes apparitions historiques, pures incarnations de la résistance et de la mobilisation face aux ennemis (Ste Geneviève, Jeanne Hachette, Jeanne d’Arc) ou du pur don de soi (Ste Blandine... Louise Michel, la vierge rouge)... Ces jeunes filles sont transparentes, lumineuses et contrastent avec l’opacité des femmes de pouvoir et le trouble qu’elles sont censées faire naître. “.
Les hommes font la loi ; les femmes la représentent. Les allégories politiques sont féminines : la loi, la République, la patrie, la liberté... sont représentées plus par une idée de femme qu’une femme singulière.
Proches de la sphère politique, il y a aussi les “femmes décors”, ces femmes de luxe et de dépenses qui s’incarnent dans les figures d’impératrices (la République a des comptes à rendre avec l’Empire...) : Joséphine, Eugénie sont présentées comme des femmes futiles, on oublie le rôle politique qu’elles ont pu jouer (Eugénie encourageait toute initiative visant à promouvoir les femmes sur le plan social). Il y a aussi ces “merveilleuses” (et “incroyables” !) qui sous le Directoire, incarnent le ridicule : aucun manuel ne souligne la signification politique de cette mode : la suppression du “r”, “c’est incoyable” (on efface la Révolution), les détails anti-révolutionnaires des costumes ont un autre sens que le ridicule... “ Cette dépolitisation déplace de fait la représentation vers la mode (extravagante) et les femmes (luxueuses et ruineuses).”.
Ce cliché de femme-décor est doublé d’un autre cliché (encore en vigueur..) : la femme est faible, émotive ; le pouvoir ne peut être fait pour elle. D’où les illustrations véhiculant des images de femmes apeurées (dessins sur les persécutions des protestants), pleureuses (photo d’une petite malgache dans les bras d’un médecin lors d’une campagne de vaccination), ou implorantes (Jeanne d’Arc, entre autres), agenouillées (l’impératrice Joséphine, Jeanne d’Arc encore...). “L’homme serait idéalement, souverainement du coté de la maîtrise des émotions et du contrôle de ses expressions. Pleurer serait lâcher prise, se laisser aller, révéler une faiblesse qui appelle réconfort et protection. “. Ainsi, même s’ils ont pleuré dans l’histoire... on ne voit pas d’hommes pleurer dans les manuels.
Le dernier chapitre conclue sur les éléments forts qui marquent l’évolution des grands principes de “l’éducation républicaine” des filles depuis 1791... et ses paradoxes. Jusqu’à la IIIème République, même si l’éducation des filles est devenue une question politique, on en reste à la “sexualisation” naturelle des rôles : les femmes à la maison, les hommes au pouvoir : “Les hommes sont destinés pour vivre sur le théâtre du monde (...) La maison paternelle vaut mieux à l’éducation des femmes.” (Talleyrand, plan d’instruction publique, 1791). Condorcet s’efforce de dire autre chose, il n’est pas écouté. Pour Jules Ferry, au garçon les exercices militaires, à la fille les travaux d’aiguille : “Il faut qu’elle n’ait part ni aux fonctions de production, ni aux fonctions de direction, pour rester en quelque sorte le pouvoir éducateur et modérateur de la société ”. C’est bien une histoire de nature qui éloigne les femmes de la sphère politique et les livres d’histoire renforcent cette histoire de nature en offrant des images, des “icônes” qui trompent notre regard sur le passé.
" 7% de noms de femmes mentionnés dans les 30 manuels d’histoire et 10 % de femmes illustrées, ce sont des taux de représentation très proches des 6 % de femmes sénateurs, des 7% de femmes maires, des 10% de femmes députés...”.
Et l’histoire se poursuit car “dans les nouveaux programmes de 1995 pour l’école élémentaire signés F. Bayrou, sur 22 personnages considérés comme constitutifs d’une culture et d’une conscience nationale (...) deux femmes seulement sont mentionnées (Jeanne d’Arc et Marie Curie) : elles représentent 9% de la liste”.
Source : https://www.pedagogie.ac-aix-marseille.fr/upload/docs/application/pdf/2011-08/bma025_enfants.pdf