Théorie du genre dans les manuels scolaires
Après l'introduction de la théorie du genre dans les manuels scolaires, l'Eglise catholique organise la riposte
Article de Stéphanie Le Bars paru dans Le Monde du 10-09-2011
« Signe de l'attention extrême que l'Eglise catholique porte au sujet, le Vatican a réagi de manière inhabituellement rapide au débat portant sur l'inscription, dans les programmes de sciences et vie de la Terre (SVT) de 1re, d'un chapitre consacré au thème "Devenir homme ou femme". Perçu comme une manière implicite d'introduire la "théorie du genre" dans les esprits adolescents, ce thème a amené le conseil pontifical pour la famille à publier en France un ouvrage militant intitulé Gender, la controverse (Pierre Téqui éditeur, 192 p., 16,80 euros).
Reprenant des contributions de théologiens et de religieux parues ces dernières années, l'Eglise entend alerter sur les "dérives" de la théorie du genre, qui distingue l'identité sexuelle biologique du genre, masculin ou féminin, et insiste sur la construction sociale et culturelle de l'identité sexuelle.
En développement depuis une vingtaine d'années, les travaux sur le genre abordent aussi bien des sujets liés à la parité hommes-femmes en politique ou dans le monde du travail, que la place de la femme dans l'art ou les mouvements sociaux. Mais cette approche ouvre aussi, selon l'Eglise catholique, "un changement de paradigme remettant en question la différence sexuelle intrinsèque à l'humanité". L'institution s'est emparée de ce sujet dès les années 1990 et, depuis, juge cette théorie "dangereuse".
Dans la préface de Gender, la controverse, Tony Anatrella, prêtre, psychanalyste et "consulteur" au Vatican sur les questions de famille et de santé, dénonce cette "idéologie totalitaire, plus oppressive et pernicieuse que l'idéologie marxiste". Pour l'Eglise, les conséquences de cette théorie portent sur la déconstruction de la famille et de la filiation, ou sur la reconnaissance d'orientations sexuelles diversifiées, qui induit notamment le mariage homosexuel.
"Ce sujet est grave et pose les principes d'une société qui, refusant la nature et donc la création, fait de l'être humain son propre créateur, se choisissant sa sexualité et organisant son mode de vie à partir de ce choix", écrivait en juin Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, à propos des programmes de SVT.
Le terme de "théorie" est en outre récusé : Mgr Anatrella voit dans la "théorie du genre un agencement conceptuel qui n'a rien à voir avec la science ; il est à peine une opinion". L'argument a été repris par 80 députés UMP, qui ont demandé fin août le retrait des manuels de SVT. Ces considérations ont amené l'enseignement catholique à demander à un groupe de travail, constitué par l'archevêque de Rennes, Mgr Pierre d'Ornellas, sur les questions d'éducation relationnelle, affective et sexuelle des jeunes, de se saisir du sujet. Composé de théologiens, de scientifiques, d'enseignants, ce groupe doit fournir dans les prochaines semaines des outils d'aide aux enseignants.
"Nous avons constaté que nombre d'enseignants étaient démunis face à ces questions, explique Mgr d'Ornellas, par ailleurs spécialiste des questions de bioéthique. Il s'agit de faire en sorte que cette partie du programme soit respectueuse de la dignité de personnes, en l'occurrence des jeunes en construction, c'est-à-dire vulnérables.""Ce n'est pas la même chose d'ouvrir un enseignement sur les "gender studies" à Sciences Po pour des étudiants de plus de 20 ans (ce que fait l'Institut d'études politiques cette rentrée) et d'aborder ces sujets avec des adolescents qui n'ont pas la même maturité humaine et psychologique", précise aussi Jean Matos, chargé d'animer le groupe de travail.
Réfutant tout "esprit de polémique", M. Matos pointe le risque que l'inscription de ce thème en SVT "réduise les questions de sexualité à la dimension purement biologique". "Les éléments concernant ce thème gagneraient à être abordés d'une manière plus sérieuse et complète, transversale, notamment en philosophie, en histoire, en littérature ou en art." Cet appel à davantage de pluridisciplinarité devrait être un des éléments de réflexion soumis aux enseignants.
Dans une démarche plus radicale, le député (UMP) de Saône-et-Loire, Jean-Marc Nesmes, catholique affiché, vient de saisir la Mission interministérielle de lutte et de vigilance contre les dérives sectaires. Pour lui, cette affaire s'apparente à une "dérive sectaire", dans la mesure où "l'emprise mentale de l'action par les promoteurs (de la théorie du genre) risque de déstabiliser les jeunes et les adolescents et d'altérer leur développement". »
Illustration tirée du site : http://croah.fr/revue-de-presse/theorie-du-genre-lenseignement-etatique-et-lenseignement-indirect/